La liberté. C’est ce à quoi j’aspire. Une liberté qui me permette de faire tout ce que je veux, qui me permette de devenir puissante et de vivre une existence remplie de surprises et d’action. Je ne veux plus m’ennuyer dans un quotidien, dans des entraînements sans queue ni tête. Je sens une force nouvelle en moi depuis que ma transformation est terminée. Je ne suis plus la même et je ne pourrais pas retourner en arrière. Je n’en ai pas envie. Non, ce que je veux, en ce moment, est très clair. Ma mâchoire se serre à ses paroles.

-Des règles, hein… C’était trop beau pour être vrai.

Mais je pourrais m’en inquiéter plus tard. Il a raison sur un point, je dois contrôler ma faim. Je meurs de faim, je n’avais d’ailleurs jamais eu aussi faim de toute ma vie et je sens que chaque parcelle de mon être brûle d’un appétit vorace. L’odeur des êtres humains non loin me rend folle et je reste parfaitement immobile, à l’affut de chaque odeur et de chaque son qu’ils produisent, ils crépitent comme un délicieux plat tout juste servis. Je ferme les yeux. Pourquoi devrais-je me contrôler ? Pourquoi ne puis-je pas simplement aller me servir, me rendre dans les rues de Tokyo et dévorer le premier venu ? J’y pense sérieusement quand la main de Zansho se pose sur mon épaule. Je me relève difficilement. Mon corps est encore endolori par cette transformation… Mais la faim me pousse à me tenir debout et à le suivre. Je marche derrière le Démon qu’un peu plus tôt, je combattais. Les odeurs se font plus fortes et mes sens sont envahis, m’indiquant la présence de tant d’humains dont je pourrais dévorer la chair. Je serre les poings quitte à enfoncer mes griffes dans ma paume. J’essaye de garder le contrôle mais cela devient de plus en plus difficile. Zansho s’arrête et j’en fais de même, remarquant la maison devant laquelle nous nous sommes stoppés. J’écoute ce qu’il me dit d’une oreille distraite. J’avais déjà senti la présence d’humains, leurs odeurs me font saliver.

Je ne réponds même pas au Démon et me dirige vers le bâtiment. J’y entre sans difficulté et suis mes sens pour me diriger vers une pièce dans laquelle je sens la présence d’une proie. Je prends des inspirations profondes mais silencieuses. Je pourrais baver d’envie en imaginant mes dents plantées dans la chair d’un homme, une pensée qui me rebutait par le passé. Je pose ma main sur la porte entrouverte et la pousse doucement, évitant tout grincement. Le jeune homme est allongé sur son lit, les yeux fermés. Ma respiration s’alourdit et mon regard se fait sauvage. Sans hésitation, poussée par une pulsion de mort, je m’avance à pas de loup, à une vitesse que je ne me connaissais pas et en une seconde, je suis sur ma cible. Ma main sur la bouche du jeune homme, je l’empêche de crier et capte son regard rempli de surprise et de peur avant d’enfoncer mes ongles dans son ventre. Je vois sur ses traits la douleur qui le torture sans le laisser émettre un son, ma main plaquée avec force sur ses lèvres. Je n’attends même pas qu’il soit mort, j’ai trop faim et l’odeur de son sang m’empêche de penser convenablement. Je me penche pour venir planter mes dents dans son cou et profite amplement de ce premier repas qui me régale bien plus que je ne l’aurais pensé. Trop concentrée sur le corps que je dévore, j’en oublie qu’une femme est également présente dans la maison jusqu’à ce qu’elle hurle à l’entrée de la pièce, face à ce spectacle morbide.

Mon impatience m’a fait commettre une première erreur. J’avais tellement faim, je n’avais jamais ressenti une telle pulsion avant. J’ai causé la mort d’un être humain innocent mais je ne parviens pas à m’en vouloir. Tout ce qui comptait, c’était que je mange au plus vite. Suis-je réellement un monstre ? J’ai été transcendée au-delà de ma condition. Je suis au-dessus des hommes dans la chaîne alimentaire, je leur suis supérieure alors où est le réel mal ? Je dois manger pour survivre. Les hommes tuent les animaux pour se nourrir, nous faisons la même chose et je ne peux que me convaincre de ne pas être si horrible que ça, malgré le sang qui coule, encore brûlant dans ma gorge.

Je ne m’arrête que pour regarder la silhouette féminine qui fait son apparition pour pousser une hurlement horrifié. Heureusement, je n’ai pas à agir. Zansho règle le problème très rapidement en se glissant proche de l’inconnue pour la tuer d’un geste vif mais violent. Il a bien l’habitude de faire cela. Les Démons doivent avoir l’habitude d’assassiner de la bonne façon pour se nourrir. C’est une habitude que je n’ai pas encore. L’homme en-dessous de moi termine son agonie dans de faibles gémissements, attirant à nouveau mon attention et mon appétit qui commence doucement à s’apaiser. La voix du Démon m’arrête dans mon repas et je lève mon regard sauvage et tourne mon visage tâché de rouge vers lui. Comme les Pourfendeurs, les Démons ne veulent pas être découverts pour le moment. Voilà déjà une règle que je vais devoir respecter. Ça ne sera pas très difficile, je le faisais déjà en tant que Pourfendeuse. Je hoche lentement la tête, écoutant avec intérêt le Démon masqué à la voix assez autoritaire pour me pousser à respecter ses mots.

-Je vais devoir me combattre contre mes anciens compagnons, n’est-ce pas ?, je passe la manche de mon haori sur mes lèvres pour les essuyer, Ils ne sont pas si forts, beaucoup n’ont pas encore retrouvés la force qu’ils avaient il y a 100 ans.

Je hausse les épaules alors que je n’ai pas vraiment peur. Les Pourfendeurs craignent ne pas l’être. Nous savons que lors de la précédente guerre, les Démons ont eu l’avantage pendant des centaines et des centaines d’années. Les Pourfendeurs craignent de vivre la même situation. Je recommence à manger et une fois que j’ai terminé, nous quittons la maison comme si de rien n’était… Et ma nouvelle vie va commencer.

Mission de Zansho réussie